Accueil | Introduction | Présentation des évenements | Pourquoi l'Erika a coulé | Conclusion | Lexique | Sources | Annexes : Point de vue technique | Questionnaire

Intro | Autours de l'Erika | Des espaces Outlaw | Les responsabilités | Les solutions

DES ESPACES OUTLAW

Paradis fiscaux et pavillons de complaisance

Chapitre suivant : Les responsabilités

 

L'affaire de l'Erika révèle une certaine complaisance dans le milieu maritime. Une complaisance qui ne serai pas possible sans l'aide des fameux « paradis fiscaux » et des « pavillons de complaisance ».

Les « paradis fiscaux »

C'est un sujet qui dépasse de loin le cadre maritime de l'histoire de l'Erika et dont la montée en puissance devient inquiétante. D'après les rédacteurs d'un récent rapport de l'ODCCP (Office pour le contrôle des drogues et la prévention du crime des Nations unies) émis sous l'égide de l'ONU, en parlant des paradis fiscaux : « Ce qui a commencé comme une activité visant à satisfaire les besoins de quelques privilégiés est devenu une énorme faille dans le système juridique et fiscal international. »

« Paradis fiscal » est une appellation assez énigmatique sur laquelle on ne connaît pas grand chose. Trois caractères la définissent a priori : secret bancaire, vide judiciaire, fiscalité faible ou nulle. Cela sous la protection d'une « souveraineté nationale » utilisée pour l'évasion fiscale.

En fait, parler de « paradis fiscal » est réducteur voir faux, car ces espaces appelés aussi Offshore, sont en fait Outlaw. Ils constituent en effet un monde sans loi qui double et prolonge les mondes légaux. Sa fonction principale est bien sûr la fonction financière, mais il offre aussi les multiples possibilités d'un monde sans lois.

Sur cet ensemble de lieux se structure un système principalement financier, qui met en symbiose capitaliste trois fléaux du monde moderne : l'évasion fiscale, le blanchiment de recettes d'activités illégales, et la corruption.

Fonctions criminelles

Les fonctions criminelles des paradis financiers sont généralement sous-estimées.

En effet la définition même du crime est souvent réduite à sa plus simple expression, on oublie alors certains aspects fondamentaux qu'il peut prendre. Ainsi on dénombre plusieurs types d'acteurs participant à la fonction criminelles des paradis financiers :

D'une part, les organisations criminelles « classiques » appelées mafia, ont des ensembles d'activités dont le crime réside dans le mode d'organisation plus généralement que dans le contenu. Ces organisations contrôlent aussi des activités « normales », industrielles, foncières, commerciales, et financières évidemment et ce contrôle tend à criminaliser leur emploi.

D' autre part, des entreprises, des organismes étatiques, des clans et groupes politiques, des individus, peuvent aussi s'adonner à des activités délictueuses ou criminelles à grande échelle, profitant de l'abri et potentialités des paradis financiers.

La seule prise en compte de la nature criminelle des organismes ou activités amène donc une sous-estimation systématique. Il faudrait pouvoir y ajouter les activités légales des entreprises criminelles et les activités délictueuse et criminelles des entreprises légales.

Blanchiment et noircissement

Une des fonctions très classique d'un paradis fiscal est le « blanchiment » de l'argent.

Mais il ne faut pas oublier qu'il existe aussi des fonctions appelées ici fonctions de « noircissement », moins connues mais parfois plus inquiétantes.« Blanchir », c'est mettre dans les circuits légaux les revenus d'activités délictueuses ou criminelles. C'est par cette voie que des organisations criminelles en arrivent à contrôler des parts croissantes des activités économiques ordinaires.

« Noircir », c'est détourner une part des flux d'argent normaux pour les faire servir à des buts délictueux ou criminels. Certains flux sont visiblement propices à ces détournements : les recettes du commerce extérieur, les aides et prêts bilatéraux ou internationaux, les budgets publics, etc......

Du « blanchiment » au « noircissement » ou l'inverse, on laisse se créer des cycles invisibles. Du coup l'illégal se fond dans le légal et prend une part de plus en plus importante dans les circuit financier internationaux.

Bien à l'abri dans les paradis financiers, la flotte mondiale a été la première activité à connaître une telle expansion en ce qui concerne les trafics peu recommandables. Son cas met aussi en lumière une fonction intéressante des espaces Offshore, qui est de servir de relais à l'exploitation incontrôlée de la main d'ouvre, dans des conditions de sécurité minimales.

Evasion fiscale, discrétion des transactions, immunité légale, les trois « vertus » des paradis financiers ont présidés au développement déjà ancien de cette activité. La phase actuelle de la mondialisation a donné une accélération décisive au phénomène, dans une complicité générale des opérateurs maritimes et des Etats qui en sont les principaux bénéficiaires.

Retour au titre

Les pavillons de complaisance

Bien avant d'être formellement codifiée, la coutume internationale reconnaissait le navire marchand comme une portion du territoire national de son pays d'origine.

Cette appartenance nationale est une notion forte et ancienne, et ses diverses modalité de perversion ne datent pas non plus d'hier. Arborer le pavillon d'une autre nationalité, avec ou sans la complicité de l'Etat concerné, était autrefois chose facile et utile en temps de conflit.

Historiquement, ce genre de détournement est généralement demeuré marginal ou limité. On se souvient néanmoins de l'utilisation au dix-neuvième siècle du pavillon brésilien par les navires portugais afin de continuer à pratiquer la traite des noirs, dont le Portugal avait accepté l'interdiction.

Mais cet exemple parmi tant d'autres ne fait office que de folklore en regard de ce qui s'est passé depuis. La complaisance moderne se situe dans une autre dimension.

La complaisance moderne

Son développement date environ d'un demi siècle. Aujourd'hui, les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) possèdent 69% de la flotte mondiale, dont les deux tiers sous pavillon de complaisance.

Après le dernier conflit mondial, les compagnies pétrolières nord-américaines ont commencées à utiliser les pavillons panaméens et libériens pour alléger leurs obligations sociales et fiscales, avec la pleine complicité de l'Etat. La phase actuelle de libéralisation mondiale a donné une accélération décisive au phénomène, et l'on estime généralement qu'il dépasse maintenant 60% du tonnage des flottes maritimes en trafic international.

La nature de ce système est d'être indescriptible. En effet, à première vue, une multitude d'opérateurs inconsistants se cachent les un derrière les autres, et pas de responsables en vue. Mais ceux-ci existent néanmoins.

En réalité, il n'y a pas transfert mais simplement camouflage de propriété ; il suffit d'immatriculer ses navires à Malte ou aux Bermudes, ou sous n'importe lequel des vingt-sept pavillons de complaisances recensés par l'ITF (International transport federation).

Ce qui était une exception est devenu la règle. On en est au point où l'évolution du phénomène semble avoir échappé à ses promoteurs et principaux bénéficiaires, car il induit des risques croissants, par une aggravation incontrôlable des conditions d'exploitations, d'entretien et de renouvellement de la flotte (durant la dernière décennie, l'âge moyen de la flotte est passé de moins de 14 ans à plus de 19 ans). En effet la complaisance maintient les taux de fret à un niveau trop bas pour que l'investissement de renouvellement de la flotte soit possible à un rythme suffisant. Il en va de même pour les conditions sociales.

Les mécanismes plus généraux et indirects, qui entravent toute attaque efficace du phénomène, s'appellent déréglementation et libéralisation mondiales, dans lesquels la résolution isolée du cas maritime paraît quelque peu malaisée. Dans ce contexte, sur l'espace indéfini des mondes sans lois de la finance, la navigation maritime côtoie et s'imbrique avec spéculation, corruption, trafics de guerre et en tout genre, blanchiment et criminalité, dont elle est peut-être à la fois objet et moyen concret pour réaliser nombre de trafics douteux.

On est alors amené à se demander si la mondialisation libérale forcenée n'est pas en train de favoriser la gestation, au niveau mondial, d'un processus de criminalisation généralisée analogue aux processus locaux et régionaux que l'on peut observer dans de nombreux pays du tiers-monde et en Russie. La corruption devient systémique, c'est à dire que l'exception devient la règle et les efforts pour l'éliminer sont anéanties par son évasion dans les espaces incontrôlables des paradis fiscaux.

A la lumière de ce qui précède, l'affaire de l'Erika prend une signification plus exemplaire.

Retour au titre

Chapitre suivant : Les responsabilités

Accueil | Introduction | Présentation des évenements | Pourquoi l'Erika a coulé | Conclusion | Lexique | Sources
Annexes : Point de vue technique sur le naufrage | Questionnaire

Ecrivez-moi : fourga38@wanadoo.fr

Aller à l’accueil de mon site perso